Mardi 4 août 2020, une explosion à Beyrouth a complètement détruit le port et une partie de la ville, avec un bilan humain de plus de 140 morts et 5 000 blessés.
Cette explosion intervient dans une période extrêmement difficile pour le Liban, qui fait face à une pluralité de crises :
- crise politique liée à une extrême défiance du peuple envers la classe politique ;
- crise sanitaire liée au COVID-19, responsable de la perte de nombreux emplois et en partie responsable d’une crise économique ;
- crise économique avec une forte dévaluation de la livre libanaise qui contraste avec une inflation insoutenable pour le peuple qui peine à accéder aux produits de première nécessité. Le tout ne sera pas facilité par la destruction du port de Beyrouth dans lequel était stocké plus du trois quart des réserves de céréales du pays ;
- crise humanitaire résultant du cumul des crises décrites précédemment.
Alors que l’Organisation des Nations Unies demande une enquête indépendante sur les raisons de l’explosion, enquête que refuse le Président de la République libanaise Michel AOUN, certains libanais optent pour une autre option : mettre le pays sous mandat français.
Rappel historique
Avec le mandat britannique en Palestine, le mandat français en Syrie et au Liban a été l’un des 2 mandats institués par la Société des Nations (SDN), le précurseur de l’Organisation des Nations-Unies (ONU), après la première guerre mondiale.
Officiellement, un tel mandat était censé permettre aux États du monde arabe d’accéder à l’indépendance et à la souveraineté. Ainsi, une fois que cet État aurait atteint, selon le mandataire, un niveau suffisant de maturité politique et de développement économique.
Attention à ne pas confondre le mandat français au Liban et une colonisation française du Liban. La distinction est importante, et il ne s’agit pas dans cet article de développer cette question.
Pour être clair et concis, il est important de restituer le contexte du mandat français au Liban.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la question du partage des territoires s’est posée, question génératrice de tension, notamment entre les britanniques et les français.
Après une guerre, la logique est davantage d’apaiser les tensions, plutôt que de les exacerber, et c’est pourquoi, la société des Nations a été créée, le 28 avril 1919 par la Conférence de la paix, et a pour mission d’éviter de nouvelles guerres et de veiller au maintien de la paix.
A l’instar de la Charte des Nations-Unies pour l’Organisation des Nations-Unies, la Société des Nations prévoyait à l’article 22 de son pacte, pour les pays arabes issus de l’ex Empire Ottoman :
« certaines communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules ».
On en déduit donc que ce mandat résultait aussi, si ce n’est surtout, d’un partage de territoire entre vainqueurs, plus que d’un altruisme pur.
Il n’en est pas moins que le Liban est resté sous mandat Français de 1920 à 1943, et qu’il semble que certains soient mélancoliques de cette période.

Et de nos jours…
Le Président Emmanuel MACRON a été interpellé à plusieurs reprises par des citoyens libanais, lors de sa visite à Beyrouth, formulant une demande reprise dans une pétition réunissant plus de 60 000 signatures et réclamant que le Liban soit à nouveau placé sous mandat français pour une durée de 20 ans.
A noter toutefois, qu’il est difficile de vérifier que ces 60 000 signatures émanent de libanais vivant au Liban, et que quand bien même, ces 60 000 personnes représentent moins d’1% de la population libanaise estimée à 6,85 millions de citoyens.

La validité juridique d’un mandat français
L’objet de cet article est d’apporter une réponse juridique à cette problématique, en l’état actuel des textes.
L’élément le plus important à relever, qui permet de répondre de manière quasi-immédiate à cette problématique, est que la Société des Nations (SDN) n’est plus.
En effet, la Société des Nations était une organisation internationale instituée par le traité de Versailles en 1919, inaugurée l’année suivante, et dissoute le 20 avril 1946.
C’est une autre organisation internationale qui a succédé à la SDN : l’Organisation des Nations Unies (ONU).
En, effet, après les ravages de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, le monde aspire à une paix durable. 51 pays se réunissent alors à San Francisco et signent une charte. Cette charte, c’est la Charte des Nations-Unies ayant pour objet de parvenir au maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Cette Charte diffère du Pacte de la Société des Nations.
Alors que les dispositions précitées, de l’article 22 du Pacte de la SDN, permettaient le placement sous mandat de certains États, la Charte des Nations-Unies ne prévoient pas pareil dispositif.
En interpellant le Président MACRON, certains libanais invoquaient le chapitre 7 de la Charte des Nations-Unies. Pourquoi ?
Le chapitre 7 de la Charte des Nations-Unies dote le Conseil de sécurité (CS) d’une boîte à outils, de laquelle le placement sous mandat d’un État tiers est absent.
Aucune des dispositions de la Charte des Nations-Unies ne permet à un État de placer un autre État souverain sous mandat, quand bien même les deux seraient consentants.
Plus précisément, le Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies créé le cadre dans lequel le Conseil de sécurité peut prendre des mesures coercitives. Il permet au Conseil de sécurité de constater « l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression » et de faire des recommandations ou de recourir à des mesures militaires ou non militaires « pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».
Le CS dispose ainsi de moyens d’intervention gradués.
Tout d’abord, il peut avoir recours à des sanctions économiques, à des embargos sur les armes ou encore interdire les voyages…
Si les moyens « pacifiques » s’avèrent insuffisants, le CS peut recourir à la force militaire. Il s’agit d’actions nécessaires « au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ».
En conclusion, NON, le Liban, qui est un État souverain, ne peut pas être placé sous mandat français pour les dix prochaines années, pas en l’état actuel du droit !
Seul un traité ratifié entre le Liban et la France, d’État souverain à État souverain, pourrait envisager une telle configuration.

Sources utilisées
LENOIR Luc, : Liban un « mandat français » est-il juridiquement possible, comme le demande une pétition ?, Le Figaro, 6 août 2020, https://www.lefigaro.fr/international/liban-un-mandat-francais-est-il-juridiquement-possible-comme-le-demande-une-petition-20200806
Conseil de Sécurité des Nations Unies, Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression (Chapitre VII), https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/repertoire/actions
Charte des Nations Unies, Chapitre VII, https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vii/index.html
Nations Unies, FINUL Force intérimaire des Nations Unies au Liban, https://peacekeeping.un.org/fr/mission/finul
GRATIAN Paul, Une pétition demande le retour d’un mandat français pour le Liban, est-ce réalisable ?, Ouest France, 6 août 2020, https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/99019/reader/reader.html#!preferred/1/package/99019/pub/145344/page/8
CHAIGNE-OUDIN Anne-Lucie, Société des Nations et nouvelle notion de mandat, Les clés du Moyen-Orient, 2010, https://www.lesclesdumoyenorient.com/Societe-des-Nations-et-nouvelle
Un article de
Fondateur et Président de Juridquoi, il est juriste de formation. Il aime beaucoup écrire dans son domaine de prédilection : le droit dans toute sa diversité.
Il est aussi spécialisé droit public et en droit de l’urbanisme via son Master 2 « Droit et métiers de l’urbanisme » obtenu à Aix-Marseille Université.
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